Les chaises
20 novembre 2024 à 20:00
Compagnie du Poulpe • Eugène Ionesco
théâtre
théâtre
1h
Ce texte de Ionesco nous renvoie à une peinture saisissante de notre quotidien, entre rire et désespoir.
Ils sont seuls, ou presque, sur une île déserte. Adam et Ève d’une ère effondrée où la culture a été jetée avec le micro-onde et les espoirs d’un lendemain qui chante. Ça sent le poisson mort d’une eau irradiée et les restes d’une civilisation passée. Pourtant, ils rient et partagent leur folie avec nous. Mais surtout, ils savent à qui confier le plus grand des messages, celui qui sauvera l’Humanité.
À la lecture du texte, j’ai eu l’intime sensation que ce classique de Ionesco était plus que jamais d’actualité. Soudainement, les paroles des personnages résonnaient avec les discours du vingt heures et les chiffres du GIEC. Cette île déserte et ce Paris saccagé apparaissaient comme un effondrement probable de notre humanité. La mise en scène perpétuelle de notre société, de nos élus, de nous-mêmes auprès des autres me renvoyait au jeu des deux vieux et à leur spectacle sans cesse rejoué.
C’est, il me semble, un sentiment de vacuité qui transparaît particulièrement et qui résonne avec notre monde et nos préoccupations actuelles. Les jeunes générations – ici représentés par ces jeunes comédiens jouant pourtant de vieux personnages – se demandent s’il y aura un lendemain pour la biodiversité dont notre espèce fait partie. L’âge n’existe plus, la jeunesse a perdu son innocence et doit déjà se poser des questions d’âge mûr. Alors ils bricolent, à l’image des chaises au plateau, ils assemblent joliment les déchets qui les entourent dans l’espoir d’une renaissance.
Naît alors un sentiment de vide et de désespoir que l’on lit à travers ces sièges non comblés, ces spectateurs invisibles et ces deux personnages qui luttent pour « sauver l’humanité, qui est bien malade ». Naît également la schizophrénie inéluctable du condamné, sans cesse transporté entre son enfance et sa lucidité, le besoin de retrouver « le mirage de l’enfance, la splendeur du premier jour » et la nécessité de devenir un adulte éclairé et éclairant. Naît aussi cet élan vital, ce besoin de faire quelque chose.
mise en scène : Orianne Moretti / assistanat à la mise en scène : Frédérique Le Naour / interprétation : Anne-Claire Joubard, Quentin Mousserion / musique : Fabien Philippeau-Masson / lumières : Angélique Guillot / scénographie, costumes et illustration : Hélène Dahéron / production : Claire Tommasini et la Compagnie du Poulpe
La compagnie
Fondée en janvier 2019, la Compagnie du Poulpe est une compagnie de théâtre à la croisée des arts et des mondes. Basée en zone rurale (Blaison-Saint-Sulpice), cette compagnie est pluridisciplinaire et travaille collégialement avec des artistes réguliers (illustratrice, chanteurs/musiciens et comédien.nes / metteur.e en scène, artisan.es, vignobles). La volonté de la compagnie est de s’implanter localement sur un territoire et de réfléchir à la place de l’artiste dans notre système (politique, social, sociétal, économique, médical et artistique) en questionnant ce qui nous détermine et nous influence. Et de bien rigoler.
Plus d'infos sur la compagnie
L'auteur
Eugène Ionesco (1909-1994) est un dramaturge et écrivain roumano-français. Il passe la majeure partie de sa vie à voyager entre la France et la Roumanie. Bien qu’il refuse à l’époque cette étiquette, Ionesco est aujourd’hui considéré comme le représentant majeur du théâtre de l’absurde : « Je préfère à l’expression absurde celle d’insolite. ». Son théâtre explore l’étrangeté de l’existence humaine et la questionne. Il travaille la vacuité et la solitude. Œuvres notables : La Cantatrice chauve (1950), La Leçon (1951), Le roi se meurt (1962), Les Chaises (1952), Notes et contre-notes (1962), Rhinocéros (1959), Macbett (1972).